Suite et presque fin du parcours de mon arrière grand-père lors de la première guerre mondiale. Maurice Pernet, 20 ans, était à Verdun ce 22 juin 1916, lorsque l’armée allemande, en préalable à une attaque de grande ampleur, arrosa les positions françaises d’obus asphyxiants.
15 juin 1916. Cela fait un jour seulement que les hommes du 120e BCP ont pris position dans le bois d’Haudromont, près de Verdun. Mais il suffit d’un jour pour basculer dans un autre monde.
« Les tranchées et boyaux, constamment bouleversées par un bombardement de gros calibre, rendent leur occupation très pénible pour le bataillon. Malgré tout le dévouement apporté par les corvées, le ravitaillement est très précaire. Les hommes souffrent beaucoup de la soif. Pas de fil de fer, aucun obstacle en avant des lignes. Le bataillon est en alerte constante, et reçoit de l’ennemi des feux de front et de flanc. C’est la guerre en rase campagne. »
JMO du 120e BCP, 15/06/1916
Dans la soirée, le 106e BCP, positionné à la droite du 120e, dans le bois de Nawé, est attaqué après une violente préparation d’artillerie et perd une tranchée, avant de parvenir à rétablir la situation sans que les renforts du 120e BCP n’aient à intervenir.
Positions de la 257e Brigade le 16 juin 1916
Source : Mémoire des Hommes, JMO de la 257e brigade
Cliquez pour agrandir.
16 juin 1916. L’artillerie allemande comme française est particulièrement active dans le secteur du 106e BCP. Le soir, on observe des mouvements allemands entre le fort de Douaumont et le ravin de la Dame. Étonnamment, ils n’ont ni armes ni casques. Ils semblent toutefois « porteurs d’appareils pour le lancement de liquide enflammé« .
17 juin 1916. Le bombardement est toujours aussi intense dans le secteur du 106e BCP. Ce dernier, appuyé par des éléments du 359e RI et avec à sa disposition quelques éléments du 120e, lance une attaque contre les tranchées allemandes. L’opération est partiellement réussie, mais les positions prises sont intenables et le 106e est contraint de se replier dans la soirée. Les chasseurs seront morts pour rien, si ce n’est la volonté du commandement français de maintenir les Allemands sous pression.
18 juin 1916. L’artillerie française tire de manière lente et continue sur le ravin de la Dame et le ravin de la Couleuvre, tandis que l’artillerie allemande bombarde sans discontinuer les tranchées françaises, détruisant la plupart des boyaux, notamment du côté de la 2e compagnie où la tranchée est nivelée sur une centaine de mètres, et mettant hors service plusieurs pièces d’artillerie.
19 juin 1916. Un violent duel d’artillerie a lieu vers 17h. On envoie des patrouilles en reconnaissance, elles ne signalent rien de particulier. Le rédacteur du JMO note ses impressions sur les compétences techniques des deux camps : tandis que l’artillerie française lui paraît supérieure à l’artillerie allemande, son impression est tout autre en ce qui concerne l’aviation, car ce sont bel et bien les Allemands qui tiennent le ciel. Dans la soirée, les positions du 120e sont étendues vers le bois de Nawé à la suite de la relève du 106e BCP.
20 juin 1916. Une journée mouvementée pour les hommes du 120e. On remarque de nombreux ennemis isolés sur le chemin du fort de Douaumont (là où des Allemands munis d’étranges appareils avaient déjà été repérés le 16 juin). Le bombardement allemand sur les positions françaises est violent, en particulier sur les tranchées Rémy et Masson. L’artillerie française réplique. Les Allemands sont toujours les maîtres du ciel, et une trentaine d’appareils survolent à plusieurs reprises les tranchées françaises. Malgré tout, la nuit sera calme.
21 juin 1916. L’artillerie et l’aviation sont toujours aussi actives. Un Allemand, qui a trouvé le moyen de s’égarer dans les lignes françaises, est fait prisonnier.
Les combats devant Verdun, du 1er au 5 juillet 1916, extrait de L’Histoire de la Grande guerre : la guerre en images, 1928 (Gallica)
22 juin 1916. Comme les jours précédents, les duels d’artillerie se succèdent. Les avions allemands survolent le bataillon et se dirige vers Bar-le-Duc. Toute la journée, par groupe de trois, des avions ennemis survoleront le bois d’Haudromont, et les hommes pourront observer un mouvement intense de corvées allemandes entre le ravin de la Couleuvre et le fort de Douaumont.
Nuit du 22 au 23 juin 1916. Il est 22h. Les Allemands viennent de lancer une attaque au gaz de grande ampleur. Les obus asphyxiants pleuvent. A 3h45, un Allemand appartenant au 10e Bavarois est fait prisonnier. Il révèle qu’une division allemande, arrivée la veille de Saitn-Mihiel, doit attaquer à l’aube dans le secteur de Thiaumont. Le chef de bataillon met immédiatement les hommes en alerte et transmet le renseignement au 40e RI à sa gauche et au 359 RI à sa droite. Comme pour corroborer ses dires, l’activité de l’artillerie allemande s’intensifie, les obus asphyxiants continuent de pleuvoir. Ils sifflent d’une drôle de façon et ne provoquent aucune détonation. Au poste de commandement, on sent désormais très bien le chlore. Le marmitage s’intensifie encore et encore, à tel point que le rédacteur du JMO notera son « intensité inouïe » : « des obus de gros calibres sillonnent l’espace, on dirait de véritables tramways aériens, » commente-t-il.
23 juin 1916. A 7h du matin, les premiers coups de fusils et de mitrailleuses se font entendre. L’attaque allemande est lancée à droite des positions du 120e. Une partie d’une compagnie allemande tente de faire diversion en attaquant des éléments du 120e, mais son avancée est maîtrisée par le pilonnage des mitrailleuses françaises.
A 8h, on apprend que l’attaque allemande est déclenchée sur Thiaumont. Les Allemands semblent disposer de nombreux renforts. On remarque ainsi d’importantes colonnes d’hommes se dirigeant vers le ravin de la Couleuvre. La fusillade s’intensifie, mais le 120e est relativement épargné, l’action se localisant sur sa droite.
A 10h, le 120e BCP est informé de la situation par le commandant du 359e RI. Ce dernier tient toujours ses emplacements à droite du 120e. Le front tenu par le 121e BCP, en revanche, a été percé et l’ennemi progresse désormais sur la crête de Thiaumont. « Si une contre-attaque ne rétablit pas les choses sur la côte de Froideterre, notre droite est complètement tournée, » conclut-il.
Une centaine de prisonniers français, appartenant à diverses unités, passent dans le ravin de la Dame et se dirigent vers Douaumont, précédés par deux Allemands. Lorsqu’ils arrivent près des carrières tenues par la 2e compagnie, un lieutenant du 120e les appellent et ils retraversent les lignes. Vers midi, la contre-attaque française est annoncée.
Le Ravin de la Dame vu depuis les positions françaises.
Même s’ils ne subissent pas le gros de l’attaque, la journée est mouvementée pour les hommes du 120e BCP, qui sont violemment bombardés dans des tranchées constamment chamboulées, et qui pilonnent eux-mêmes sans relâche les Allemands passant dans le ravin à proximité.
« Le bataillon souffre beaucoup de l’absence de toute espèce d’abri. Les chasseurs ont bien la volonté d’en construire, même ils creusent des trous dans le fond de leurs tranchées au fond desquels ils s’abritent des éclats, mais où ils sont exposés, hélas, à être ensevelis sous les coups de plein fouet. Toutes les demandes de matériel n’ont pu aboutir pour l’étayage des abris. Il est vrai que le transport des rondins nécessaires sur les positions mêmes aurait présenté les plus grandes difficultés.
Cependant, en face de nous, l’Allemand parvient à se construire des abris à l’épreuve des gros projectiles, nous en avons la certitude par le dire des prisonniers et par les corvées incessantes de matériel qu’on aperçoit en arrière de ses premières lignes.
Nous avons tenus devant Verdun grâce à l’efficacité de notre artillerie, à la bravoure et à l’abnégation de nos braves Poilus, mais nous aurions tenus avec certainement moins de perte si nous avions pu nous construire rapidement des abris enterrés.
C’est une question qui n’a pas été suffisamment indiquée par les corps de troupes au début de la bataille de Verdun, et qui aurait pu, par la fabrication en série de cadres de coffrage, recevoir une prompte et féconde solution.
Au cri fameux et combien judicieux : « Des canons, des munitions ! », il eut fallu ajouter : « Des abris ! » »
JMO du 120e BCP, 23/06/1916
Le 120e BCP restera encore de nombreux jours à Verdun. Du 15 juin au 4 juillet 1916, le bataillon perdra 284 hommes : 92 tués, 191 blessés et 1 disparu. Il a eu de la « chance » : le 106e déplore quant à lui 155 morts, 375 blessés et 131 disparus. Le 6 juillet 1916, le rédacteur du JMO note : « Les hommes sont des blocs de boue. Leurs yeux fiévreux, leurs traits fatigués et leur maigreur attestent la dépense d’efforts physiques et de volonté qu’ils ont faite pendant ces 21 jours d’épreuve. Et cependant leur moral est intact. »
Mon arrière grand-père faisait-il partie de ces hommes enfin relevés de leur position en ce début de mois de juillet 1916 ? En théorie oui, car sa fiche matricule mentionne qu’il fut « évacué malade le 12 juillet 1916 pour angine pultacée » et admis à l’hôpital de Toul, où le bataillon était alors stationné, mais le JMO, qui tenait le décompte des pertes du bataillon, avec parfois des « malades évacués » ne mentionne rien pour cette journée. Il est aussi possible qu’il ait été éloigné du front bien plus tôt, cette fameuse nuit du 22 au 23 juin 1916.
Car si sa fiche matricule ne mentionne qu’une « angine pultacée« , la mémoire familiale est tout autre : mon arrière grand-père a été l’une des nombreuses victimes des obus asphyxiants qui se sont abattus sur Verdun cette nuit-là. Son « angine » le tiendra éloigné du front pendant six mois. Il ne rejoindra son bataillon qu’au début de l’année 1917.
Article précédent : Juin 1916 : Le long de la Voie sacrée.